La révolution 3D est à venir

Tribune de Dominique Sciamma, Directeur de l’école de design, Strate

Réalité augmentée, Réalité virtuelle, réalité diminuée, immersion, hologramme, haptique… Ces termes deviennent non seulement quotidiens, mais ils sont surtout « grand public ». Des dispositifs hier très coûteux, que seuls des laboratoires pouvaient produire ou s’offrir, sont maintenant disponibles pour quelques centaines d’euros. Les médias s’extasient, s’étonnent, et les superlatifs succèdent aux superlatifs.

Ceux qui s’intéressaient à ces sujets depuis longtemps pourraient s’en réjouir, en voyant enfin leur vision devenir réalité. Ils peuvent aussi, et plus encore, s’inquiéter que cette vulgarisation ne soit aussi un affadissement de la promesse, sinon sa réduction.

Pour étonnantes et extraordinaires que soient ces technologies, il faut se garder, encore une fois, de considérer qu’elles suffisent, en elles-mêmes, pour produire de l’innovation. Il en va en effet de ces avancées comme de celle de l’impression 3D : combien d’écoles, combien d’agences, combien de lieux, fascinés, ont investi dans des imprimantes 3D, ont téléchargé des têtes de Yoda, de Dark Vador ou d’Iron Man, puis ont imprimé ces objets, pour les réimprimer une deuxième fois et probablement pas une 3ème, en s’apercevant, à un moment donné qu’il allait falloir avant tout concevoir des objets, les modéliser, et les rendre imprimables.

Il en va de même avec les technologies d’immersion 3D, comme avec l’apparition de toutes nouvelles technologies de rupture, où nous sommes souvent saisis d’ivresses numériques. Si ces technologies sont pleines de promesses, elles nous invitent surtout et plus que jamais à faire du design.

Faire du design, c’est à dire à faire de la 3D un espace de pensée, un espace de conception, un espace de proposition, un espace de simulation, un espace de narration, et surtout un espace d’expérience. Plus qu’une technologie, la 3D est un paradigme de conception qui nécessite d’être à la fois construit et habité par un nouveau type de professionnels de la conception : des designers d’expérience 3D. Ces designers, comme tous les designers, devront mettre une technique de représentation à chaque étape de leur process de conception, et cette technique de représentation, c’est la 3D.

Et quand nous parlons de design 3D, nous ne parlons pas de la seule modélisation numérique. Croire que modéliser c’est concevoir, c’est faire une erreur majeure, tout à fait similaire à celle commise par nos acheteurs compulsifs d’imprimantes 3D. Comme il ne suffit pas de dessiner pour être un designer produit, il ne suffit pas de modéliser pour être un designer 3D. Parce que le design est un process de conception centré sur l’humain, qui invoque les techniques de représentations pour lui donner naissance et consistance.

La révolution 3D est donc encore à venir, et ce sera celle du design. Il s’agit là de concevoir PAR et POUR la 3D, en faisant de la 3D l’Alpha et l’Omega d’une démarche de conception, en en faisant à la fois le contexte de la conception et le contexte de l’expérience.

De plus en plus d’expériences humaines, privées ou publiques, sérieuses ou ludiques, personnelles ou professionnelles seront des expériences immersives, passives ou interactives. Et ce sont toutes les industries qui seront demandeuses, tous les secteurs ! Demain, le retail, la banque, l’assurance, la finance, autant que l’industrie manufacturière, seront pourvoyeuses d’expériences immersives. Les analystes de big data, les mainteneurs d’avions de ligne, les chirurgiens comme le simple consommateur en seront les bénéficiaires.
Il faudra bien que des designers les imaginent, les conçoivent, les testent et les mettent en scène. Ces designers, en maîtrise des technologies, des outils et des plates-formes restent à former. Ils viendront de filières de modelage et de modélisation, ils sortiront d’écoles d’ingénieurs, d’école de design, mais aussi de l’univers du jeu vidéo.

Car s’il y a bien un univers qui préfigure la prédominance d’expérience 3D, quand il ne le prophétise pas, c’est bien celui du jeu vidéo. Combien de jeunes passionnés, de praticiens quotidiens, rêvent d’intégrer le monde apparemment merveilleux du jeu vidéo, avec l’espoir de concevoir un jour un grand titre, un univers fascinant, une intrigue huilée, des personnages singuliers, une mise en scène spectaculaire, et une jouabilité parfaite ? Ils sont pléthores ! Et combien réaliseront ce rêve ? Très peu. Il y a là un réel gâchis de talent qui pourrait être évité en orientant ces enthousiasmes et ces talents vers un métier d’avenir comme celui de designer d’expérience 3D.

Les nouvelles technologies, comme toutes les technologies, ont vocation à nous servir et plus encore à servir le projet humaniste de l’émancipation et du vivre ensemble. La 3D n’échappe pas à la règle, et il nous faut donc former les professionnels attentifs aux vies de leurs contemporains, qui sauront faire de la virtualité et de l’augmentation du réel, des leviers d’expérience et de développements humains, et non succomber à la myopie numérique.


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